Le Président de la République camerounais vient de prendre deux décrets pour transformer la Société Nationale d’Investissement (SNI) en société à capital totalement public et pour en approuver les nouveaux statuts. Il s’agit des décret n°2024/291 du 10 juillet 2024 portant transformation en Société à Capital Public de la Société Nationale d’investissement et décret n°2024/292 du 10 juillet 2024 portant approbation des statuts de la Société Nationale d’Investissement. Dans la foulée est actée la dissolution de trois structures publiques impliquées jusque-là dans la gestion de la restructuration financière des entreprises publiques. Les missions de la SNI s’en trouvent ainsi élargies et confortées comme acteur clé pour l’Etat en matière de financement sur les marchés de capitaux et « superviseur » des autres entreprises publiques…le tout sur fond de statut d’entité soumise aux règles de droit privé…
D’entrée de jeu, il faut indiquer que dans sa version de 1985 (décret n° 85/1177 du 28 août 1985 réorganisant la Société Nationale d’Investissement du Cameroun) la SNI est un établissement public à caractère financier. Dans le Décret n° 2024/291 du 10 Juillet 2024 portant transformation de la Société Nationale d’Investissement en Société à Capital Public, elle est transformée en Société à Capital Public, ayant l’Etat comme unique actionnaire financière. En d’autres termes, la rentabilité est plus que jamais inscrite dans son cahier de charges en plus de la performance.
ACTIVITES BOURSIERES, D’ASSET MANAGEMENT ET SUIVI DES AUTRES ENTREPRISES
L’article 3 qui dispose que la SNI a pour objet « la mobilisation et l’orientation des financements en vue de favoriser l’investissement productif notamment dans les secteurs industriel, agricole, minier, financier, commercial et des services », vient en réalité étendre son périmètre d’action.
Avec la possibilité qui lui est reconnue par l’article 2 de créer des filiales, la SNI peut désormais et ceci de manière illimitée, faire dans l’exercice d’activités d’intermédiation en bourse et de gestion d’actifs et surtout dans le suivi des entreprises publiques, à côté du financement des investissements ; des opérations de capital-risque et de capital-développement ou encore de la réalisation d’études et de l’appui-conseil qui existaient déjà sous une autre écriture dans le décret de 1985.
A comprendre donc que, les prises de participations et les négociations d’actions d’hier ont été mieux recadrées. Les filiales directe ou indirecte (par association avec des entreprises créées ou existantes) de la SNI arriveront désormais sur le marché financier encadré par la Commission de Surveillance du Marché Financier de la CEMAC et obtiendront des agréments pour compétir avec les banques privées comme Sociétés de Bourse ou Sociétés de Gestion avec des Fonds d’investissements.
En outre, aux termes de l’article 19, la SNI peut contracter des emprunts par voie d’émission d’obligations avec ou sans garanties ou nantissement sur les biens mobiliers dépendant de l’actif social et avec ou sans hypothèque sur les immeubles sociaux. Ces emprunts sous forme de création d’obligations, bons négociables ou bons de caisse, gagés ou non, sont décidés par le Conseil d’Administration. En plus de création des filiales d’intermédiation, la SNI est désormais un émetteur potentiel sur le marché financier.
Pour ce qui de ses actions statutaires de capital-risque et de capital-développement, l’article 2 de ses nouveaux statuts dispose que la SNI, « crée et/ou gère des fonds pour son propre compte, pour le compte de l’Etat et de ses démembrements ou pour le compte des tiers » et « prend des participations, aux côtés d’autres investisseurs, dans des entreprises à fort potentiel (nouvelles sociétés, sociétés existantes encore en croissance ou entreprises industrielles en difficulté), en vue d’en faire des instruments d’accélération de l’industrialisation tout en promouvant des industries nouvelles ». Effectivement, la nouvelle règlementation de la COSUMAF encadre les organismes et fonds de capital-risque depuis 2023, ce qui n’était pas le cas depuis le texte de 1985.
Le suivi des « autres » entreprises publiques quant à lui est une suite logique de la transmission des entités qui s’en occupaient et qui de droit sont pour ainsi dire « absorbées ». La SNI nouvelle version subroge désormais l’ex-Commission Technique de Réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic, de l’ex-Commission Technique de Privatisation et de Liquidation des entreprises du secteur public et parapublic, et de l’ex-Bureau de Mise à Niveau des entreprises camerounaises.
La SNI pouvant désormais elle-même être cotée dans les compartiments de la Bourse des Valeurs Mobilières (BVMAC) par elle-même ou par ses filiales peut aussi se assurer le suivi des entreprises publiques ou d’économie mixtes cotées elles aussi sur la même bourse. Son rôle à ce titre est assez particulier.
Parlons-en !
L’ABSORPTION DES COMMISSIONS TECHNIQUES ET DU BMN PAR LA NOUVELLE SNI
Les dispositions finales du décret de 2024 (Articles 26 et 27) viennent consacrer l’unification des acteurs et structures qui se chargeaient depuis 1990 de réhabiliter, de mettre à niveau, de privatiser ou de liquider (selon le niveau de difficultés financières et fonctionnelles), les entreprises publiques ou d’économie mixte. L’union sacrée est désormais faite autour de la SNI.
Le président a décidé que la Commission Technique de Réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic, la Commission Technique de Privatisation et de Liquidation des entreprises du secteur public et parapublic et le Bureau de Mise à Niveau des entreprises camerounaises sont dissoutes et leurs patrimoines sont transférés à la SNI. Cette unification était appelée de tous les vœux des experts pour une visibilité dans la stratégie actionnariale de l’Etat et une centralité de l’information utile aux décisions.
Désormais, le rapport sur la situation des entreprises publiques et d’économie mixtes qui était rédigé par la CTR le sera par la SNI ? Cependant, pour ce qui est des établissements publics, il restera un angle mort sur ce reporting ?
L’AUGMENTATION DU CAPITAL POUR UN VERITABLE FONDS SOUVERAINS
En 1985, la SNI part sur un capital de 7 milliards de FCFA. Aujourd’hui, par l’article 9 du Décret, les ministres en charge de la préparation du budget de l’Etat vont devoir inscrire, dans le cadre de la préparation de la loi de finances de l’exercice n+1, une provision budgétaire en vue d’accroître le capital social de la SNI de deux cent milliards (200 000 000 000) francs CFA en quatre tranches annuelles successives de cinquante milliards (50 000 000 000) francs CFA, à compter de la date de signature du présent décret. C’est donc un véritable fonds souverain qui s’annonce selon ces dispositions.
Allant plus loin, les nouveaux statuts précisent que le capital social est fixé à deux cent vingt-six milliards cent trente-quatre millions huit cent trente mille (226 134 830 000) francs CFA Il est divisé en 22 613 483 actions d’une valeur nominale de dix mille (10 000) francs CFA chacune et de même catégorie, entièrement libérées et détenues par l’État du Cameroun. Ces actions sont détenues au nom de l’État du Cameroun par le Ministre chargé des finances.
Cette augmentation de la surface financière de la SNI s’accompagne d’une gestion financière biface. La SNI est désormais entre chiens et loups soumise aux règles financières à la fois publiques et privées.
L’article 11 du Décret 2024 indique en son paraphe 1 que les ressources financières de la SNI sont des deniers publics et sont donc gérées selon les règles prévues par le régime financier de l’Etat et des autres entités publiques. Mais une nuance du paragraphe (2) ajoute que, toutefois, les ressources issues des partenariats seront gérées suivant les modalités prévues dans les conventions et accords y relatifs.
De plus, le Décret admet en même temps que « la SNI reste soumise aux contrôles exercés par les organes compétents de l’Etat (Article 22) » même si elle « est assujettie à la réglementation relative à la comptabilité privée OHADA ». Aussi, si « la SNI n’est pas assujettie aux dispositions du Code des marchés publics », elle reste « soumise aux règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques ».
La difficulté, à dire d’experts, peut survenir dans l’harmonisation des effets juridiques notamment au plan pénal sur les faits de gestion sur une opération ressortissant du droit OHADA, du Droit des marchés financiers et des investissements et du droit de gestion de la fortune publique. Comment articuler l’application à la même entreprise des règles du régime financier de l’Etat et des règles comptables de l’OHADA ? Telle sera la nature de l’écheveau à démêler en cas de contentieux financier impliquant la nouvelle SNI.
En dernière analyse, au plan fiscal, les exonérations prévues en 1985 sont aujourd’hui levées car la SNI et ses filiales doivent subir la règle fiscal et douanier commune, sauf exception expresse.
Dr Zogo-Droit des Marchés