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Devant le MEDEF, Macky Sall:L’Afrique émergente est loin des stéréotypes qui la présentent comme la face obscure de l’humanité.A tous nos partenaires publics et privés,mon message reste le même:posez un nouveau regard sur l’Afrique et les Africains.Ceux qui continuent de percevoir et d’analyser les dynamiques africaines à travers des paradigmes périmés risquent d’être surpris et en retard sur les rendez-vous de demain-qui sont les rendez-vous d’aujourd’hui

Invité d’honneur du Medef, le chef de l’État sénégalais s’est livré à un plaidoyer pour «un allègement conséquent de la dette publique africaine», un changement de regard et paradigmes sur L’Afrique et les Africains et un «réarrangement de la dette privée.» Deux experts sénégalais expliquent pourquoi un prolongement du moratoire de la dette africaine par le G20 ne suffira pas à renflouer le continent.

«Pour l’ensemble des pays africains, les efforts internes ne suffiront pas pour amortir le choc de la crise et relancer la croissance économique. Il nous faut plus de capacités financières. J’ai lancé un plaidoyer pour un allègement conséquent de la dette publique africaine et un réarrangement de la dette privée selon des modalités à convenir», a déclaré jeudi 27 août le Président Macky Sall lors de l’université d’été du Medef.

Invité d’honneur du patronat français, le chef d’État sénégalais revenu sur les difficultés auxquelles les pays africains sont confrontés à cause de la pandémie du coronavirus, qui a mis l’économie mondiale à terre. D’après les dernières estimations, le taux de croissance de l’économie sénégalaise «passerait de 6,8% à 1,1%» en 2020. Une chute vertigineuse à laquelle la plupart des pays africains ne vont pas échapper.

Pour juguler la crise du Covid-19, un moratoire sur la dette africaine ne suffira pas

En avril dernier, le G20 avait suspendu jusqu’à la fin de l’année les remboursements de la dette des 76 pays les plus pauvres. 40 pays d’Afrique subsaharienne étaient donc concernés. Désormais, l’Union africaine «souhaite travailler avec les partenaires pour une extension du moratoire du G20 jusqu’en 2021», a déclaré Macky Sall à l’attention des chefs d’entreprise français. Pour contrer la récession sans précédent, les fonds seraient entièrement consacrés «à la riposte sanitaire, à la résilience économique et sociale et à la sauvegarde de l’emploi», a-t-il encore promis.

Très critique sur la dette imputée aux pays africains, Abdou Cissé, PDG de Cisco Consulting, un cabinet d’actuariat spécialisé dans le conseil financier à l’Afrique qu’il a créé en 2009, reconnaît que Macky Sall a «bien campé le problème», mais qu’il se trompe sur le fait que la solution doit être trouvée dans un partenariat renouvelé avec la France.

«Ce partenariat avec la France, nous l’avons depuis 75 ans. Il ne nous a rien apporté. Ce qui prouve bien que la solution n’est pas là. Mais qu’à l’instar de ce que les autres pays occidentaux ont réussi à faire, elle se trouve dans la modification du modèle monétaire par leur Banque centrale», a commenté Abdou Cisse.

En avril dernier, le Président Macky Sall avait lancé l’Appel de Dakar, dans lequel il demandait l’aide de la France pour qu’il y ait une annulation de la dette publique africaine et un réaménagement de sa dette privée, ainsi qu’une meilleure capitalisation des expertises africaines dans la phase post-pandémie Covid-19. Mais cette demande n’a donné lieu, pour l’instant, qu’à l’octroi du moratoire.

À quand la monétisation de la dette africaine?

D’où la réaction de l’actuaire sénégalais, qui n’en démord pas: pour lui, il faut arrêter «une fois pour toute» de refuser à l’Afrique ce que la France et les autres pays occidentaux s’autorisent à eux-mêmes.

«Entre 2008 et 2020, la France a vécu l’explosion de toutes ses frontières entre politique monétaire, budgétaire et économique. Le franc CFA est arrimé à l’euro et la France accède à toutes les formes de souplesse monétaire. Cette demande d’annulation de nos dettes est donc légitime, il faut juste qu’on en débatte dans la sérénité et qu’on fixe ensemble les modalités de mise en œuvre», poursuit l’expert sénégalais.

Avec la pandémie de coronavirus, la pression pour augmenter les capacités budgétaires des États n’a fait que s’accroître. Abdou Cissé cite l’exemple des 12 milliards d’euros de déficit pour financer les retraites que la France avait en décembre 2019. Or, dès le mois de mars 2020, «sa capacité budgétaire avait été augmentée de 100 milliards d’euros», affirme-t-il. Comment ce tour de passe-passe a-t-il été rendu possible? Grâce à l’intervention de la Banque de France, qui s’aligne en cela sur toutes les autres Banques centrales dans les pays occidentaux, poursuit l’actuaire.

Abandon du franc CFA: qu’est-ce que l’Afrique de l’Ouest va y gagner?

Or, cela n’a jamais été possible dans les deux zones franc d’Afrique de l’Ouest et du Centre, où circulent toujours des francs CFA, malgré la promesse de l’avènement d’une monnaie unique, l’ECO. Celle-ci, si elle voit le jour, sera commune aux quinze États des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce qui laisse pour l’instant sur le pas de la porte les six États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).

«Si la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a des difficultés à monétiser cette dette pour lui permettre de financer des projets au lieu de se contenter de procéder à des remboursements d’emprunts, il y a pléthore d’experts africains qui peuvent l’y aider», ironise Abdou Cissé.

L’autre voie, selon lui, consisterait à arrêter d’avoir des complexes vis-à-vis de l’Occident, qui n’a jamais vraiment eu de «moralité» en matière d’endettement, «sauf quand il s’agit de demander à l’Afrique de rembourser», argue-t-il.

Le «passif» du franc CFA

Pour l’expert sénégalais, en effet, ce qui est aujourd’hui à l’actif de la France en tant que puissance tutélaire (la dette) «figure au passif de l’Afrique, comme l’absence d’infrastructures», explique-t-il. La nouvelle façon de considérer la dette africaine de la part de l’Occident –et notamment des responsables français– viserait donc, selon lui, à revoir le bilan global en tenant compte de la durée pendant laquelle «l’Afrique a été pillée».

«Si la France, le FMI et la Banque mondiale nous remboursaient tout le passif qui nous est dû, ne serait-ce que du fait des ajustements structurels, alors notre bilan deviendrait largement positif et nous pourrions rembourser nos dettes», s’exclame Abdou Cissé.

De nombreux économistes africains, parmi lesquels le Congolais Désiré Mandilou, font valoir qu’avec les garanties rattachées au franc CFA, la France aurait –au final– prêté aux Africains leur propre argent. Et que c’est l’Agence française de développement (AFD) qui a été le principal instrument de cette spoliation, affirme ce dernier dans son dernier livre (La Monnaie unique africaine –en finir avec le franc CFA et ses avatars ECO CFA, Éd. VA Press)

L’abandon du franc CFA menacé par la volte-face du Nigeria?

Mais, pour Mohamed Ly, président du think tank Ipode, qui œuvre à l’amélioration des politiques publiques en Afrique, la «vraie raison» de la venue de Macky Sall devant le Gotha français du CAC 40, n’a rien à voir avec le G20:

«Ce n’est pas le moratoire sur la dette publique, mais bien l’échelonnement de la dette privée détenue par les grands groupes français présents au Sénégal que Macky Sall est venu demander», explique cet entrepreneur sénégalais.

Au Sénégal, l’un des pays considérés parmi les plus stables de la sous-région, les entreprises françaises contrôlent la plupart des secteurs porteurs de croissance.

Que ce soit dans l’agriculture, l’agro-industrie, les mines, le ciment, les BTP, les hydrocarbures, les infrastructures, la logistique, le transport aérien, le tourisme, les télécommunications, les banques et les assurances, les grands groupes français –certains implantés depuis des dizaines d’années –, sont tous en «pole position» avec, de surcroît, très peu de concurrence.

«On comprend mieux, dans ces conditions, l’enjeu crucial qu’un aménagement de la dette privée représente pour le chef de l’État», conclut Mohamed Ly.

Christine Gueye

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