La radicalité xénophobe qui gagne l’Europe, les États-Unis et bien d’autres régions du monde n’est pas une simple tendance politique : c’est une menace existentielle pour nos valeurs communes. Ce rejet de l’altérité, transformé en programme idéologique, ne se contente pas de diviser, il mutile l’idéal humaniste qui devrait nous unir. Comment en sommes-nous arrivés à tolérer l’intolérable ?
Ma propre existence se lit comme un antidote à ce poison identitaire. Bilingue français-anglais, j’ai découvert très tôt que chaque langue est une fenêtre sur un univers de sens. Ces outils linguistiques m’ont permis de communiquer, et ils m’ont appris à penser différemment, à ressentir par procuration les nuances culturelles qui façonnent nos rapports au monde. Une compétence devenue précieuse lors de mes deux décennies au Bureau international du Travail (BIT), dont 9 ans comme représentant d’un mandant employeur et 13 ans comme haut fonctionnaire.
Au cœur de cette institution onusienne, j’ai vécu une expérience unique : dialoguer avec des représentants de 200 nations. Derrière chaque poignée de main se cachait une histoire, celle d’un syndicaliste ghanéen luttant pour les droits des enfants, d’une entrepreneuse vietnamienne révolutionnant l’économie informelle.
Ces rencontres, loin des clichés médiatiques, révélaient une vérité simple : nos aspirations fondamentales transcendent les frontières. Qui pourrait oublier l’amitié spontanée entre un Camerounais et un Costaricain, unis par leur passion pour l’innovation sociale ?
Pourtant, certains persistent à voir dans cette diversité une menace. Leur rhétorique, fondée sur la peur et la simplification, engendre un cycle infernal :
1. Déshumanisation : Réduire l’étranger à un stéréotype (migrant économique, terroriste potentiel)
2. Polarisation : Opposer artificiellement « autochtones » et « nouveaux arrivants »
3. Violence systémique : Légitimer les discriminations, voire les conflits armés
Ce processus a précédé les pires tragédies du XXe siècle. Croire qu’en 2024 nous en serions immunisés relève de l’aveuglement coupable.
Face à ce péril, quatre impératifs s’imposent :
• Éduquer : Intégrer l’interculturalité dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge
• Réguler : Contraindre les plateformes numériques à lutter contre la haine en ligne
• Témoigner : Donner voix aux récits migrants dans les médias mainstream
• Célébrer : Multiplier les événements culturels hybrides (festivals, résidences d’artistes)
À ceux qui brandissent l’identité comme une arme, opposons la force de nos liens tissés. Ce Costaricain et ce Camerounais du BIT ne sont pas des exceptions : ils sont les visages d’une norme possible. Il ne s’agit pas de naïveté, mais de lucidité historique. Car l’alternative est sans appel : soit nous apprenons à faire société malgré nos différences, soit nous périrons ensemble, enfermés dans nos peurs.
Alexandre Francis Sanzouango