Amazonie:Faut-il punir les crimes contre les générations futures
Nous sommes tous, très souvent, confrontés à des situations dans lesquelles nous avons le sentiment que d’autres agissent d’une façon qui nous nuit, sans que nous puissions intervenir pour les en empêcher. C’est le cas par exemple quand un voisin est trop bruyant, ou quand quelqu’un fume à proximité, ou quand un conducteur, dans une voiture voisine, agit d’une façon dangereuse. Dans certains cas, et dans certains pays, la législation est assez stricte pour interdire ces comportements. C’est même le fondement du droit que d’interdire ce qui nuit à autrui. Et le champ d’application de ce principe s’étend de plus en plus, dans les pays civilisés.
Seulement voilà : ce droit n’est que national. Et, si, dans beaucoup de pays, nul ne peut fumer à proximité d’un voisin de bureau, chacun peut, dans son pays, nuire impunément à d’autres, s’il le fait depuis l’intérieur de ses propres frontières. Parce qu’il n’existe en droit international aucun droit d’ingérence, et encore moins aucun devoir d’ingérence, sauf, dans des cas très réglementées par la Charte des Nations Unies, dont l’application n’a jamais été sans déclencher des discussions infinies.
Pour compenser cette lacune, les nations les plus puissantes ont tenté d’inventer des principes, et de faire signer des traités, comme ceux qui tentent d’interdire à tout pays autres que ceux qui l’ont déjà, de se doter d’une capacité nucléaire de nature militaire. On sait combien ces principes sont à géométrie variable, et combien leur application, même quand la communauté internationale le décide, est extrêmement difficile et contestée.
Il est même un domaine où ce principe est totalement absent ; c’est celui de la protection de l’environnement. Et en particulier du climat. Pour éviter la catastrophe qui menace la planète, chacun de nous devrait agir, dans toutes les dimensions de sa vie, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et beaucoup de gens s’y emploient, d’une façon minutieuse.
Pourtant, à coté de nous, en ce moment même, un président régulièrement élu d’un très grand pays est en train de menacer la survie de l’humanité tout entière, en autorisant la destruction d’une forêt essentielle à l’équilibre de la planète : au Brésil, 570 millions d’hectares de forêts tropicales, soit la moitié de celles restant sur la planète sont menacées de destruction. On y trouve 6 600 km de rivières ; au moins 40 000 espèces de plantes, 3 000 espèces de poissons d’eau douce ; soit au total une espèce sur dix existantes sur Terre. Et on en découvre de nouvelles tous les jours.
Pendant 20 ans, la législation protectrice de cette forêt a été un modèle. Aujourd’hui, un nouveau président affirme que cette législation est un obstacle au développement économique de son pays. Aussi est il infiniment plus indulgent à l’égard des bûcherons illégaux : depuis janvier, près de 3.500 km² de cette forêt ont disparus, soit 40% de plus que l’année précédente. En juin seulement, la déforestation a augmenté de 80 % par rapport au même mois en 2018.
La disparition de la forêt amazonienne, en libérant le carbone antérieurement stocké et en interrompant le processus de stockage ultérieur, aurait un impact tragique sur toute la planète, qu’aucun progrès scientifique, aussi génial soit-il, ne pourrait compenser. Et quand on en parle au Président brésilien, il répond : « l’Amazonie appartient au Brésil. Pas à l’Europe ».
C’est bien toute la question : l’Amazonie n’appartient au Brésil que s’il en fait un bon usage, dans l’intérêt des générations futures de Brésiliens, et des autres habitants, humains ou non, de la planète. Et ce n’est pas le cas.
Cela devrait être une question majeure, sinon la question majeure, du prochain G7 que de savoir comment s’opposer à ce crime contre l’humanité d’un nouveau genre : un crime contre les générations futures. En attendant la mise en place d’un droit international en la matière, et même d’un tribunal international compétent, les pays les plus riches de la planète ne manquent pas d’arguments et de moyens pour s’y opposer. Du boycott des produits brésiliens aux sanctions de toutes natures qui pourraient toucher celles des plus grandes fortunes brésiliennes qui vont bénéficier de ce pillage. Il faut agir. Très vite.
Osera-t-on ?
Jacques Attali