CEMAC::Comprendre le rôle du collège de surveillance Multilatérale de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale
La 36eme Session Ordinaire tenue à Douala les 11 ET 12 Mars comme prétexte pour comprendre le role de ce comité méconnue du Grand public.
Née en 1994 des cendres de l’Union Douanière et Economique de l’Afrique Centrale (UDEAC), la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) est composée de deux unions régies chacune par une convention particulière (BEAC 1996). Il y a, d’une part, la convention qui crée l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC). Elle repose, en outre, sur un ensemble de règles de coopération monétaire entre les pays membres. Elle a pour objectif, à travers la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), de garantir la stabilité intérieure et extérieure de la monnaie .. Il y a, d’autre part, la convention créant l’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC) qui vise la réalisation d’une intégration économique réelle à travers la suppression des barrières douanières et des contingentements, le renforcement de la compétitivité des activités économiques et financières, la convergence et la mise en cohérence des politiques budgétaires nationales avec la politique monétaire commune, ainsi qu’une véritable coopération dans de nombreux domaines tels que l’industrie, le tourisme, les transports, la formation professionnelle, l’énergie, l’agriculture .La convergence des politiques budgétaires à travers la mise en place d’une procédure de surveillance multilatérale est clairement apparue comme l’une des voies à suivre en vue du renforcement de l’intégration économique des pays de la CEMAC. Elle vise, à travers la définition de critères, à renforcer la cohérence entre les variables de la politique monétaire et celles de la politique budgétaire, afin de créer un environnement macro-économique sain, nécessaire pour une croissance économique durable et créatrice d’emplois.Ainsi nait donc ce Comité…
Cependant, cette approche et les critères sur lesquels elle se fonde ont fait l’objet de nombreuses critiques. Ils ont été jugés très laxistes, imprécis et considérés comme un mimétisme de la démarche européenne en matière de convergence. Au-delà de ces critiques, la surveillance multilatérale des politiques budgétaires dans la CEMAC trouve sa justification dans les avantages de la coordination des politiques macro-économiques et dans les inconvénients qu’entraînent l’application des politiques nationales divergentes.
LA MARCHE VERS LA MISE EN PLACE DE LA SURVEILLANCE MULTILATÉRALE
La CEMAC a principalement deux ancêtres : la Banque Centrale des Etats de l’Afrique Equatoriale et du Cameroun (BCEAEC) et l’UDEAC.Cette union douanière, créée en 1964, avait pour objectif de promouvoir l’établissement graduel d’un marché commun en Afrique centrale, grâce à l’élimination des entraves au commerce intra-communautaire, à la coordination des programmes de développement et à l’adoption des mesures d’harmonisation et de répartition des projets industriels.. Quant à la BCEAEC, elle a été constituée en 1959, à la veille des indépendances, en remplacement de l’Institut d’Émission de l’Afrique Equatoriale Française (AEF). En 1973, la BCEAEC a été à son tour remplacée par la BEAC .Un accord multilatéral a été conclu en 1972 entre la France d’une part, le Cameroun, le Congo, le Gabon, la RCA et le Tchad d’autre part (Gérardin 1994); il sera élargi à partir de 1985 à la Guinée équatoriale.La BEAC est chargée, sur la base des principes de fonctionnement arrêtés d’un commun accord entre les deux parties (France et Etats de la BEAC), d’émettre la monnaie qui a cours libératoire légal et dont la France assure la convertibilité à travers le mécanisme du « compte d’opérations ». Celui-ci est ouvert dans les livres du Trésor français au nom de la BEAC, qui a l’obligation d’y déposer 65 % des réserves de change communes. La Banque centrale définit la politique monétaire à mettre en œuvre dans l’ensemble de la zone. Elle assure également l’harmonisation de la réglementation des changes, ainsi que la libre transférabilité interne des capitaux (BEAC 1996). Ces évolutions institutionnelles n’ont cependant pas été accompagnées d’une véritable coopération dans le sens d’une convergence entre les variables monétaires et réelles.Sur le plan monétaire, celle-ci était censée être réalisée mécaniquement à travers la mise en œuvre de deux règles de politique monétaire (Stasavage 1996; Semedo et Villieu 1997). La première règle établit un plafond pour le financement des Etats par la BEAC. La Banque centrale est tenue de limiter le stock total des avances aux Trésors nationaux à 20 % des recettes budgétaires du dernier exercice connu, afin de minimiser les risques de financement monétaire des déficits budgétaires. La deuxième règle limite le refinancement par la Banque centrale, lorsque le compte d’opérations devient durablement débiteur et vise à maintenir le niveau moyen de ses avoirs, extérieurs bruts au-dessus de 20 % de ses engagements à vue (taux de couverture de l’émission monétaire).Sur le plan commercial, malgré les tentatives de coopération dans le cadre de l’UDEAC, puis de la CEMAC, peu de progrès ont été réalisés et les résultats sont restés très en deçà des attentes, au regard des atouts dont bénéficient ces pays (Gbetnkom 2003). En effet, dans les années 1990, la Banque africaine de développement estimait à 6 % l’intensité des échanges intra-zone au sein de cette union. Ce pourcentage, malgré une progression, n’est pas très éloigné des estimations effectuées au début des années 1960, qui se situaient à 4 % (Yondo 1970).La surveillance multilatérale des politiques budgétaires apparaît alors comme une expérience nouvelle et surtout complémentaire aux mécanismes de coopération existants.
Les mécanismes de la surveillance multilatérale : une expérience de coopération nouvelle et complémentaire
La surveillance multilatérale a été mise en place 1994. Elle consiste, selon les textes fondateurs, pour les Etats de la CEMAC, à établir les procédures permettant de respecter les règles communes de coordination des politiques économiques nationales, notamment en matière budgétaire. Avant de présenter les règles de fonctionnement , il convient de préciser le contexte dans lequel ces dispositions ont été adoptées.
Un contexte de crise économique générale
Le contexte qui a précédé l’adoption de la surveillance multilatérale était celui de la crise économique qui a frappé, sans exception, les économies de la CEMAC. Le début de la crise n’a pas été uniforme dans tous les pays. Ainsi, le Cameroun est entré officiellement en crise en 1987 , même si dès 1986 un déficit budgétaire de 7 % a été enregistré, après une période de forte croissance économique.
Le Gabon a signé son premier accord stand by avec le FMI en 1977 et 1978, pour résoudre une crise de liquidité. Le pays enregistrera certes une croissance positive, mais faible. Si ces deux pays ont constitué à des périodes données des exceptions, d’une manière générale, la situation s’est caractérisée par un ralentissement de l’activité économique pour les autres membres de la CEMAC (Bekolo-Ebé 2001-a). Cette crise s’expliquait par l’adoption de politiques macro-économiques et sectorielles laxistes, qui étaient fondées sur un modèle de développement où l’état occupait une place prépondérante dans la production et la réglementation. La production était, pour l’essentiel, basée sur les matières premières qui représentaient, au milieu des années 1980, près de 80 % des recettes d’exportation nationales, soit un pourcentage voisin de celui des années 1960. La détérioration des termes de l’échange intervenue à partir des années 1980 a provoqué la chute des recettes d’exportation, qui ne s’est pas accompagnée d’un ajustement à la baisse des dépenses publiques massivement engagées pendant la période de grande euphorie financière. Il en est résulté l’apparition d’importants déséquilibres des finances publiques, qui augmentaient d’année en année, et une dégradation consécutive des taux de croissance. L’amélioration budgétaire enregistrée à partir 1994 pour certains pays et de 1995 pour tous les membres de l’UMAC est en partie liée à la dévaluation du franc CFA, et à ses effets expansifs sur les recettes fiscales associées au commerce extérieur.Au cours de la période considérée, les pays ont connu une dégradation de leur solde budgétaire primaire en rapport au PIB jusqu’en 1995. Le Congo a enregistré la dégradation la plus prononcée, avec un ratio qui est passé de-9,2 % en 1985 à -20,5 % en 1993, puis celui-ci s’est redressé au cours des dernières années. Le Cameroun, la Guinée équatoriale et la RCA enregistrent des déficits records en 1991. Cette année correspond, notamment au Cameroun, à la montée de l’incivisme fiscal et des « villes mortes », conséquences des revendications pour une société plus ouverte démocratiquement. En revanche, pour la même année le Gabon a obtenu un excédent du solde budgétaire, et le Tchad a eu un déficit moins profond que les autres pays.
Les pays qui ont enregistré les déficits de solde budgétaire primaire les plus profonds sont également ceux dont le ratio dette publique extérieure/PIB est élevé. Pour le Cameroun, le ratio reste relativement stable jusqu’en 1988, avant de croître régulièrement pour dépasser 50 % en 1990, puis 100 % en 1994. Toutefois, tous les pays de la zone connaissent à partir de 1990 un accroissement de leur taux d’endettement en rapport au PIB qui devient supérieur à 50 %. Les situations du Congo et de la Guinée équatoriale sont particulières. L’endettement excessif de ce dernier pays jusqu’en 1995 s’explique par les gros investissements nécessaires pour l’exploitation pétrolière. A partir de 1996, ce ratio diminue progressivement (12,1 % en 2001), du fait de l’exploitation effective du pétrole. En ce qui concerne le Congo, outre le financement des investissements nécessaires à l’exploitation pétrolière, l’économie s’est transformée pendant plusieurs années en une économie de guerre. Les écarts de croissance entre les pays de la CEMAC ont été très importants. C’est ainsi qu’en 1986, le rythme de la croissance s’est réduit dans la plupart des pays (-35,7 % au Congo); cette période a été marquée par la baisse des cours sur le marché du pétrole. Au Cameroun, le PIB diminue chaque année jusqu’en 1994. Cette tendance sera inversée avec les effets positifs de la dévaluation du franc CFA en 1994.
A l’inverse, les autres pays ont enregistré une croissance économique en 1988 et 1989 (+ 20,9 % pour le Gabon et + 15,4 % pour le Tchad). La situation de la Guinée équatoriale est exceptionnelle car elle enregistre, en raison de l’exploitation pétrolière, un taux de croissance historiquement inégalé se situant à 93,7 % en 1997 (BEAC, 2000).
Les règles de fonctionnement de la surveillance multilatérale
La procédure de surveillance multilatérale s’appuie sur la définition d’indicateurs macro-économiques qui jouent le rôle de signaux permettant de prévenir tout dérapage et de préserver la discipline communautaire. Dans cette perspective, il est stipulé que les Etats membres harmoniseront, au cours de la première étape de la construction de l’Union économique, leurs législations dans divers domaines (investissements, marché du travail, etc.), ainsi que leur calendrier budgétaire ,leur comptabilité nationale et les données macroéconomiques nécessaires à l’exercice de la surveillance multilatérale. Pour atteindre le niveau de coordination souhaité, les Etats doivent, d’après le Traité, coopérer à travers un système de surveillance multilatérale bâti sur des arrangements institutionnels. Les mécanismes de la surveillance multilatérale sont concentrés autour de trois objectifs principaux :
- la stabilité de la monnaie commune;
- la bonne exécution des programmes d’ajustement structurel, appuyés par la communauté économique et financière internationale, particulièrement par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM);
- la nécessité de promouvoir une croissance économique saine et durable, en vue d’améliorer le bien-être des populations d’Afrique centrale.Elle repose, en outre, sur trois principes : la subsidiarité, la collégialité et la pression mutuelle pour inciter au respect des directives communautaires « pour assurer la coordination des politiques économiques des Etats membres, la procédure de surveillance multilatérale s’appuie sur des critères définissant des normes pour qualifier un déficit budgétaire d’excessif et sur un ensemble de variables macroéconomiques permettant de suivre et d’interpréter les évolutions économiques des Etats » (BEAC 2002 p. 8). Les critères et indicateurs de convergence ont été révisés , Un solde budgétaire de base (hors dons) rapporté au PIB nominal positif ou nul, à l’horizon 2004. Il est calculé en base engagements et représente la différence entre les recettes totales hors dons et les dépenses totales hors investissements financés sur ressources extérieures. Il présente l’avantage de mieux révéler la position budgétaire de l’Etat.
- Un taux d’inflation annuel moyen inférieur ou égal à 3 %, dont l’objectif est d’assurer une convergence des taux d’inflation entre les différents pays de la communauté.
- Un taux d’endettement public extérieur inférieur ou égal à 70 % du PIB en 2004, dont l’objectif est de contrôler à terme le problème d’endettement excessif des Etats.
- La non-accumulation d’arriérés intérieurs et extérieurs sur la gestion de la période courante. Ce critère s’accompagne d’un plan d’apurement sur une période de trois ans, à fin 2004, du stock d’arriérés existant à fin 2000.
D’après les textes fondateurs, le non-respect de ces critères entraîne des sanctions dont le degré de sévérité est fonction de la gravité de la situation. Toutefois, selon l’article 58 du Traité de la CEMAC, lorsqu’un Etat membre connaît de « graves difficultés » liées à des « événements dits exceptionnels », il peut être exempté, pour une durée maximale de six mois, du respect de tout ou partie des prescriptions énoncées dans le cadre de la procédure de la surveillance multilatérale. Dans le cas contraire, l’état est exposé à deux types de sanctions : les sanctions positives d’une part, et les sanctions négatives d’autre part.Les sanctions positives s’appliquent à un pays membre lorsque la mise en œuvre effective d’un programme est reconnue conforme aux directives données par le Conseil des Ministres. Dans ce cas, les sanctions se traduisent par la publication d’un communiqué du Secrétaire Exécutif de l’UEAC et le soutien de l’Union à la mobilisation de ressources additionnelles nécessaires au financement des mesures rectificatives préconisées.
Les sanctions négatives sont définies dans le Traité comme celles appliquées à l’état qui n’a pas pu élaborer un programme d’ajustement approprié dans le délai prescrit ou lorsque le programme d’ajustement structurel n’est pas reconnu conforme à la directive du Conseil des Ministres et à la politique économique de l’Union. Le Secrétaire Exécutif de l’UEAC transmet dans les meilleurs délais au Conseil des Ministres un rapport dans lequel il préconise les sanctions suivantes : la publication par le Conseil des Ministres d’un communiqué, éventuellement assorti d’informations supplémentaires sur la situation de l’état membre concerné et le retrait annoncé publiquement du soutien dont bénéficiait éventuellement l’état membre.
Les sanctions sont les mêmes que celles qui sont appliquées dans l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Toutefois, dans le cadre du nouveau pacte de convergence adopté en Afrique de l’Ouest, une hiérarchisation des critères de convergence a été introduite. Elle identifie des critères de premier rang (dont un clé pour lequel le non-respect est susceptible de déclencher les mécanismes de sanctions) et des critères de second rang.
ÉVALUATION DES CRITÈRES DE SURVEILLANCE MULTILATÉRALE DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES
Pour permettre une meilleure évaluation de la convergence, les pays de la CEMAC ont défini trois groupes « d’indicateurs du tableau de bord macroéconomique » (BEAC 2002,). Il s’agit, pour les deux premiers groupes, des indicateurs généraux de performance (taux de croissance du PIB réel, taux d’inflation, solde du compte courant extérieur rapporté au PIB, avoirs extérieurs bruts) et des indicateurs analytiques (suivi du développement des investissements, de la compétitivité et des performances extérieures). Le dernier groupe fait l’objet d’une évaluation, il concerne les deux volets de la politique économique, à savoir la politique budgétaire (masse salariale sur recettes totales, solde primaire sur PIB, solde budgétaire global sur PIB et encours de la dette publique extérieure sur PIB) et la politique monétaire (taux de couverture extérieure de la monnaie, masse monétaire sur PIB). Cependant, l’instauration progressive de la surveillance ne permet pas de dresser un bilan suffisamment exhaustif, mais de déceler les limites des mécanismes mis en œuvre et d’explorer des perspectives d’évolution .
Le Sphinx. article réalisé avec le Concours du Dr.Avom