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Christianisme et Inculturation:Le Mauvais exemple qui Vient de L’évêque du Diocèse de Bafoussam

L’Abbé André Marie Kengne comme le Capitaine Dreyfus?

L’évêque de Bafoussam, Mgr Dieudonné Watio vient de suspendre l’un des prêtres les plus médiatiques de son diocèse pour « syncrétisme » et « glissements hérétiques ». C’est grave docteur ?

Avant toute chose, il faut peut-être définir ce que c’est que le syncrétisme. Selon Wikipédia, il s’agit d’un « mélange d’influences. Le terme de syncrétisme vient du mot grec sunkrêtismós signifiant union des Crétois. Initialement appliqué à une coalition guerrière, il s’est étendu à toutes formes de rassemblement de doctrines disparates, et est surtout utilisé à propos de religion ». L’hérésie dont « hérétique » est l’adjectif dérivé est quant à elle une « opinion émise au sein de l’Église catholique et condamnée par elle » ou encore une « Idée, théorie, pratique qui heurte les opinions communément admises ». En prenant donc ces définitions mots à mots, ce que l’évêque de Bafoussam Mgr Dieudonné Watio reproche à son prêtre est très grave et la condamnation qu’il a prononcée, à la mesure du forfait. Problème : L’abbé André Marie Kengne a-t-il eu droit à un procès équitable ? La polémique qui enfle tout autour de cette affaire est tout autant justifiée.
Il est reproché au très médiatique curé d’avoir diffusé une vidéo dans laquelle il se vante d’avoir participé à une danse cultuelle d’une société secrète du peuple Bandjoun. Dans cette vidéo, on voit le curé de la paroisse Sainte-Anne de Mbouda en tenue traditionnelle bamiléké lors d’une fête rituelle. Par la suite, ce docteur en morale et chercheur en anthropologie culturelle explique en français et en langue ghomala, la signification des us et coutumes traditionnels du peuple bamiléké. Il indique également que rien dans la Bible, dans la foi chrétienne et dans sa position de prêtre catholique ne lui interdisait de participer à cette cérémonie traditionnelle qui fait partie de ses racines. Mieux, il lui trouve des valeurs qui de son point de vue sont chrétiennes et conformes à la doctrine catholique.
Ce point de vue est loin d’être partagé par Mgr Watio Dieudonné qui s’est empressé le 15 juin dernier de lui infliger une suspension ad divinis, suspension longuement lue et commentée sur les ondes de « Vox ecclesias », la radio diocésaine catholique émettant à Bafoussam. Une suspension qui interdit au fautif d’exercer son pouvoir d’ordre, c’est-à-dire l’administration des sacrements. Il est dans le même temps suspendu de son poste d’enseignant à l’université catholique de Bafoussam.
Dans le diocèse de Bafoussam et dans les cafés de la place, « l’affaire de la suspension du père Kengne » divise. Comme pour l’affaire Dreyfus. Il y a des pour et des contre. « Le père évêque a agi en fonction de la doctrine de l’Église », explique le père Clément Kouamo cité par notre confrère J.F Channon. « Il se doit de privilégier l’enseignement officiel de l’Église. Et surtout ne pas laisser libre cours à toutes les formes de syncrétismes religieux entre le christianisme et les cultes traditionnels ». Sous anonymat, certains membres de la curie sont plus nuancés. « Entre l’évêque et nous prêtres, nous avons une relation de Père à fils, a réagi, sous couvert d’anonymat, un curé de diocèse. L’évêque s’est montré trop intransigeant vis-à-vis de notre confrère, le père André Marie Kengne qui est un moraliste et anthropologue bien respecté au sein de notre Église. Pour notre compréhension commune l’évêque aurait dû apporter des preuves intellectuelles et doctrinales qui mettent effectivement en cause notre confrère, et ouvrir la discussion avec ses prêtres avant de le sanctionner ».
Pour sa part l’anthropologue jésuite Ludovic Lado, tout autant très actif sur Facebook comme l’abbé André Marie Kengne, se montre mi-figue mi-raisin. Pour lui, la sanction prononcée par l’évêque de Bafoussam « a le mérite de sauvegarder l’activité pastorale, la forme n’y était pas (…) Le texte de l’évêque aurait pu se passer de cette rhétorique qui ressemblait à une véritable vindicte publique sur les antennes de la radio diocésaine », commente-t-il.
Dans les milieux de discussions de laïcs de Bafoussam, la démarche de l’abbé André Marie Kengne trouve de gros défenseurs, notamment ceux qui y voient la matérialisation de « l’Inculturation de la foi » telle que relevée par le Pape Jean Paul II lors de son dernier passage au Cameroun en septembre 1995. Ce terme étant utilisé en missiologie pour « désigner la manière d’adapter l’annonce de l’Évangile dans une culture donnée. »
Où faut-il donc classer la sortie de l’Abbé André Marie Kengne ? « Inculturation » ou « syncrétisme » et « glissements hérétiques » ? Les débats sont ouverts. Quant à celui qui a lancé ce pavé dans la mare, Monsieur l’Abbé de la paroisse Sainte-Anne de Mbouda, son silence est bien comparable à celui du Capitaine Dreyfus.

Michel Eclador Pekoua/Ouest Echos

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