A propos du modèle de « l’intellectuel thérapeutique » de Jean-Pierre Bekolo Par Claude Abé
Jean-Pierre Bekolo, votre billet me paraît intéressant. Le projet de faire émerger un modèle contextualisé et adapté d’intellectuel pouvant apporter des réponses aux préoccupations réelles des sociétés africaines est très louable. C’est en droite ligne de ce que Ki-Zerbo, Engelbert Mveng, Jean-Marc Ela, Samir Amin, etc. Faisaient.
Bien que vous ayez flairé que le modèle que vous souhaitez voir s’imposer a toujours cohabité avec le modèle extraverti que vous rejetez, il me semble qu’il vous a manqué la nécessaire prise en compte de la pluralité des figures de l’intellectuel dans les sociétés africaines. Il vous a également manqué de sortir du populisme ambiant qui consiste à réduire ceux qui interviennent dans les médias à leurs seules productions de soi dans ces espaces pourtant il s’agit d’individus pluriels (B. Lahire). Ils publient dans leurs domaines. Si l’on admet que la recherche scientifique vise régulièrement à résoudre un problème que l’on rencontre dans la réalité, le fait qu’ils publient dans des revues qualifiés signifie qu’ils sont déjà dans le modèle de l’intellectuel thérapeutique que vous appelez de tous vos vœux. Par ailleurs ces intervenants du dimanche sont également les mêmes qui sont sollicités de part et d’autre comme consultants par des organismes de développement à qui ils apportent leur expertise. Il serait donc inexact de les réduire à leurs seules prises de parole médiatiques pour structurer l’opinion publique.
Si cet appel des intellectuels à la contribution significative face aux perturbations que connaissent les sociétés africaines ne constitue pas le fil d’Ariane d’un producteur de savoir, alors il ne peut être considéré comme intellectuel.
Monsieur Jean-Pierre Bekolo, le problème réel que votre billet n’a pas su mettre en perspective c’est celui de l’utilité et l’utilisation de la pensée dans un contexte travaillé par la logique du marché, la culture de la prédation et le mépris du savoir par les gouvernants ainsi que les acteurs sociaux piégés par les politiques de relégation de l’importance de la production du savoir sur le fonctionnement de la société. In fine, la problématique ainsi posée c’est celle d’une politique du savoir qui intègre les efforts de mise de soi à la disposition de la société par l’intellectuel d’une part et, de l’autre, la reconnaissance de la nécessaire division du travail avec le politique car rien n’oblige ce dernier à tenir compte des productions de l’autre. Cette politique du savoir doit également intégrer une réinvention idéologique du rapport de la production du savoir aux préoccupations quotidiennes et structurelles de la société. Cela nécessite des innovations au niveau du rapport du savant au politique et vice versa.
Votre billet donne malheureusement l’impression de voguer sur la thèse populiste et fausse du tous pourris qui n’est pas vrai, mais alors pas du tout !!! Si vous pouviez savoir dans quelles conditions travaillent l’intellectuel, pas l’universitaire, dans les sociétés de l’Afrique subsaharienne comme celle camerounaise je crois que vous saluerez ceux osent l’intellectualité ici car c’est un vrai sacrifice. Un sacrifice qui ne peut être battu en brèche avec autant de facilité par certains de nos citoyens qui ont préféré l’émigration.
Dr Claude Abe